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VERS UN RETOUR DU SOCIALISME

Cette petite république socialiste nous donnerait bien des leçons concernant le dispositif social pour tous.

Le socialisme scientifique

Publié le 25 Août 2015 par AlawiRoumi

Le socialisme scientifique

« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde,

ce qui importe, c’est de le transformer »

K. Marx, IIe thèse sur Feuerbach

Le marxisme est la théorie économique et sociale et la pratique politique élaborées par Karl Marx et Friedrich Engels et développées par leurs successeurs. Pour cette raison, il est préférable de parler de socialisme scientifique plutôt que de « marxisme » car il s’agit d’une vision globale du monde entretenue par une réflexion permanente et pas simplement d’une pensée « philosophique » liée à la vie d’un homme en particulier. Toutefois, le socialisme scientifique reste indissociablement lié à la personnalité de K. Marx.

1. LA VIE ET L’ŒUVRE DE K. MARX

K. Marx (1818-1883), un Allemand d’origine juive, issu d’un milieu bourgeois, docteur en philosophie, participa pleinement aux événements révolutionnaires de son siècle. Cette activité révolutionnaire le conduisit à connaître l’exil à Paris, puis à Londres, mais aussi à fortifier sa réflexion politique sur les mutations sociales et économiques en Europe occidentale, liées à la révolution industrielle.

Ses œuvres majeures demeurent : Le Capital (en trois tomes), analyse des structures du capitalisme à l’époque de la révolution industrielle, écrit de 1867 à 1883, inachevé et publié à titre posthume, L’Idéologie allemande, publiée en 1846 où il exprime son mépris pour une réflexion intellectuelle passive, Misère de la philosophie où il s’oppose, en 1847, avec véhémence à Proudhon auteur de La Philosophie de la misère et Le Manifeste du parti communiste qui constitue une œuvre de vulgarisation d’une pensée en train de naître en une année de retournement historique, 1848. Pamphlétaire aussi de grand talent, il écrivit des pages féroces et sans doute inexactes à l’égard de la vérité historique à l’encontre de Louis-Napoléon Bonaparte, dans son fameux 18 Brumaire de Louis Bonaparte, en 1852. Il publia aussi des textes à brûle-pourpoint soit en tant que journaliste, soit en tant que responsable révolutionnaire. C’est le cas, par exemple, de sa brochure diffusée en 1871, La Commune de Paris.

En tant que révolutionnaire, il fonda, avec F. Engels, la première Internationale en 1864 à Londres. L’Internationale des travailleurs connut une existence tumultueuse avec des affrontements entre «marxistes» et anarchistes qui amenèrent l’exclusion de ces derniers en 1872, ce qui n’empêcha pas l’Internationale de se dissoudre en 1876 après avoir fait le constat de l’échec du mouvement révolutionnaire en Europe et de l’inefficacité de son action.

1.1. L’œuvre de F. Engels et son influence sur l’interprétation de la pensée marxiste

F. Engels (1820-1895) vécut dans l’ombre de K. Marx mais son apport personnel est loin d’être négligeable. Il collabora à tous les ouvrages de Marx, en particulier L’Idéologie allemande et Le Manifeste du parti communiste, publiés sous leurs deux noms. Ce fils de riches manufacturiers allemands de Rhénanie se lia d’amitié avec le jeune Marx dès 1844 et le suivit dans tous ses exils, assurant, en outre, l’intendance en Angleterre en prenant la direction d’une fabrique près de Londres. Il s’agissait de permettre à son compagnon de toujours de se consacrer entièrement à son œuvre révolutionnaire sans avoir à se soucier de la vie matérielle quotidienne. F. Engels publia personnellement deux ouvrages importants : L’anti-Dühring en 1878 où il réfutait les thèses défendues par un socialiste allemand du nom de Dühring qui, selon les socialistes marxistes, pouvaient nuire au mouvement ouvrier et L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État en 1884, où il se livre à un examen des fondements de la société, profondément influencé par les idées de Darwin sur l’évolution des espèces.

F. Engels fut, par ailleurs, l’exécuteur testamentaire de K. Marx et, en raison de son intimité prolongée avec le penseur révolutionnaire, son principal critique après sa mort. II se chargea ainsi non seulement de publier l’œuvre inachevée du Capital et de rééditer les ouvrages précédents, mais aussi de rédiger de nombreuses préfaces et introductions qui orientèrent considérablement les interprétations ultérieures de la pensée de K. Marx. II est impossible, par conséquent, de comprendre la relation de Lénine à Marx sans passer par l’analyse critique de Engels. Il fut, par exemple, le premier à présenter la pensée marxiste comme un « matérialisme historique » ou « matérialisme dialectique ». F. Engels joua envers la pensée marxiste un rôle similaire à celui de saint Paul pour la pensée chrétienne. Cependant, depuis la disparition de l’Union soviétique et l’effondrement de la pensée « marxiste-léniniste », un certain nombre de penseurs français d’obédience marxiste estiment devoir remettre en cause les définitions et l’apport théorique de F. Engels aux thèses de K. Marx.

1.2. « Socialisme scientifique » et « socialisme utopique »

Les œuvres de K. Marx et de F. Engels procèdent à la première ébauche du socialisme scientifique. D’autres penseurs ont apporté par la suite leur propre apport théorique et, encore maintenant, le socialisme scientifique demeure une science ouverte et vivante. C’est ainsi que la réflexion sur les liens entre l’État, la société civile et le mouvement révolutionnaire de l’Italien Antonio Gramsci a profondément influencé le parti communiste italien dans les années 1970, mais aussi l’action politique de M. Gorbatchev. Le socialisme scientifique peut se définir comme une représentation du monde fondée sur l’analyse des rapports économiques, axée sur la question sociale et dont la vocation est d’inciter la classe ouvrière à se révolter contre un monde profondément inéquitable. Si l’objectif final tient du principe moral, l’analyse sociale économique et historique se veut rigoureuse d’un point de vue scientifique. L’opposition est alors radicale avec la première forme de socialisme, le «socialisme utopique».

Les représentants les plus connus du « socialisme utopique » sont les Français Saint-Simon (1760-1825) et Charles Fourier (1772-1837). Eux-mêmes ne se définissent absolument pas comme utopistes et ont cherché à réaliser concrètement, sous forme de micro-société, leurs aspirations sociales. Ils imaginent le socialisme comme une société, une forme d’organisation humaine, parfaite, donc statique et non évolutive, où chacun occuperait une place précise, dans une égalité parfaite et une semblable austérité et sous une autorité commune. La comparaison avec les ruches d’abeilles est souvent employée.

Ces socialistes sont utopistes en ce sens que leur appréhension de la misère de la condition humaine au début du XIXe siècle et leur souhait d’abolir les souffrances de l’homme se traduisent par une volonté d’abolir l’histoire, en fondant une société close sur elle-même, à l’image d’un monastère, modèle de référence explicite, espace « hors du siècle » par essence. Il leur manque une analyse de l’évolution de l’histoire, des rapports de forces dans la société industrielle et des étapes nécessaires pour passer à des formes d’organisation socialiste élaborée. Le travail de K. Marx est une réaction face à la faiblesse manifeste des socialistes utopiques.

1.3. L’influence de F. Hegel sur K. Marx

Marx et Engels se servent pour étudier les contradictions sociales et économiques à l’œuvre dans leur société et comprendre les « lois de l’histoire » des concepts et de la vision du processus historique du grand philosophe allemand Friedrich Hegel (1770-1831). F. Hegel, impressionné par la dimension politique et universelle de la Révolution française, fonde la philosophie de l’histoire. Pour lui, les événements historiques se succèdent non d’une façon accidentelle et aléatoire, mais, tout au contraire, selon un ordre logique. Il est donc possible à un esprit attentif de saisir l’évolution de l’humanité, puisque l’histoire est porteur de sens. À travers un mécanisme complexe mais précis, l’histoire des hommes tend vers un objectif précis : « la réalisation de l’Idée ». Tout être humain, même s’il ne le comprend pas, participe à la réalisation de ce grand dessein. (En termes extrêmement simplistes, l’Idée, toujours avec une majuscule, peut être considérée comme l’Intelligence divinisée à la recherche de sa plénitude). L’histoire possède ainsi, selon Hegel, un sens, mais sa compréhension n’est pas aisée car l’histoire, loin d’épouser un mouvement linéaire, suit un « mouvement dialectique ». Le mouvement dialectique se résume souvent, pour le sens commun, à la fameuse formule thèse, antithèse, synthèse. Or, cette définition est insatisfaisante car elle ne précise pas la progression dans la contradiction. À la place de synthèse, il serait préférable de parler de « négation de la négation » pour mieux saisir le sens du mouvement. Un exemple permet de comprendre toute la dimension du mouvement dialectique : si un homme A pose un argument A’, un interlocuteur B critiquera le raisonnement de A par un argument B’, ce qui permettra à A de progresser dans sa pensée en proposant un argument A", critique constructive de l’argument de B et non simple retour à l’argument tenu en A’. En d’autres termes, on passe d’un oui à un non, puis du non à un non du non qui n’est pas un simple retour au oui initial. Le raisonnement est ainsi sans cesse en mouvement et en progression. Bref, il s’agit d’une sorte d’un jeu de saute-mouton permanent pour l’esprit.

K. Marx et F. Engels sont dans leur jeunesse universitaire des « hégéliens de gauche ». Cela signifie qu’ils suivent Hegel dans sa conception d’un mouvement historique, mais rompent avec lui dans la lecture du sens de l’histoire. Ils reprochent à Hegel d’attribuer comme objectif à l’histoire humaine, une fin transcendantale. Pour eux, la fin de l’histoire est à chercher, non dans un monde supérieur hors du temps humain, mais dans le monde matériel où se trouvent plongés les hommes depuis toujours. Ils considèrent Hegel comme un « idéaliste » et se présentent eux-mêmes comme «matérialistes», affirmant conserver le contact avec le monde réel. Pour reprendre une métaphore marxiste célèbre, Hegel a la tête en bas et les pieds en haut et il s’agit de le renverser pour le remettre à l’endroit.

1.4. Le matérialisme historique

Renverser Hegel, signifie, pour Marx, comprendre le moteur de l’histoire et le fonctionnement de la société. K. Marx distingue, de façon simplifiée, quatre stades dans l’évolution des sociétés humaines selon leur mode de production : la société barbare au mode de production « asiatique », auquel la Russie est encore assimilée en 1850, la société antique, fondée sur l’esclavage, la société féodale, fondée sur le servage, la société capitaliste, fondée sur l’exploitation du prolétariat. Ces sociétés demeurent fondamentalement instables, même si chacune d’elles repose sur une norme identique, «l’exploitation de l’homme par l’homme». En effet, la « superstructure », la forme politique que prend la société, ne correspond jamais exactement à « l’infrastructure », c’est-à-dire à l’état des forces productives, liées à un mode de production donné. Pour simplifier, la sphère politique est toujours en décalage avec la sphère économique. Si le déphasage entre sphères économique et politique devient trop grand, alors, l’instabilité peut mener à la révolution. C’est le cas de la Révolution française de 1789. L’Ancien Régime a permis l’éclosion d’une bourgeoisie dynamique grâce à la croissance du commerce et des manufactures et d’un système fiscal avantageux. Cette bourgeoisie qui prend possession de la puissance économique demandent à prendre part à l’exercice du pouvoir politique, ce que lui refusent la noblesse et le roi qui ont déjà perdu leur primauté dans la sphère économique. La Révolution de 1789 marque le paroxysme de la lutte pour le pouvoir entre la noblesse et la bourgeoisie. K. Marx présente cette compétition acharnée pour le pouvoir politique et économique comme l’expression d’une « lutte de classes ». La « lutte de classes » est la manifestation sociale du mouvement dialectique, le cœur donc du mouvement historique. Or, la « lutte de classes » prend, au XIXe siècle, une forme nouvelle et encore plus violente.

1.5. Société capitaliste et lutte de classes

La société capitaliste est enfantée par la révolution industrielle du XIXe siècle qui introduit un nouveau mode de production et de nouveaux rapports sociaux. Les « capitalistes » sont des individus qui ont fourni le capital financier nécessaire à la fondation d’une usine, à l’achat des outils et à l’embauche des premiers ouvriers. Leur objectif est de rentabiliser ce capital en effectuant un bénéfice maximum grâce à la vente des marchandises produites dans leurs usines. La loi du profit dans le système capitaliste s’exprime ainsi : Profit = valeur marchande de la production (donc, le prix de vente des objets fabriqués en usine) – valeur réelle de la production (c’est-à-dire le prix de revient de la production qui comprend le capital fixe investi dans les bâtiments et les outils et le coût salarial des employés). K. Marx appelle le profit « plus-value » ou encore « sur-valeur » qu’il détermine par cette formule : plus-value = valeur produite par la force de travail - valeur de la force de travail. La « plus-value » est d’autant plus forte que les salaires sont faibles. Les capitalistes ont donc tendance à payer les ouvriers juste suffisamment pour qu’ils puissent renouveler leur force de travail. Le salaire des ouvriers a donc tendance à se placer juste au-dessus du seuil de subsistance alimentaire. L’ouvrier qui n’a rien d’autre à proposer que de « louer sa force de travail », se trouve placé dans la spirale de la paupérisation. Le rapport de classes entre bourgeoisie et prolétariat en est d’autant plus violent.

1.6. Le projet communiste : une société sans classes

Les travailleurs, exploités et misérables, ont, en raison même d’une absence de biens propres à défendre qui les plongerait dans une défense égoïste de la propriété, une mission historique à accomplir briser les chaînes de l’esclavage, accomplir la révolution et instaurer une société communiste, grâce à la « dictature du prolétariat ». La société communiste se définit par la propriété collective des moyens de production. Les entreprises, au lieu d’appartenir à une minorité, les capitalistes, exploitant la force du travail du plus grand nombre, appartiennent à l’ensemble des producteurs. C’est en cela que le communisme est assimilé au « collectivisme ». À partir du moment où la société dans son ensemble s’approprie les moyens de production, les classes sociales disparaissent d’elles-mêmes puisqu’il n’y a plus ni exploiteurs ni exploités. Les classes sociales sont, en effet, uniquement définies par Marx par la propriété des moyens de production. La société communiste est donc une société sans classes. La rupture est radicale avec les organisations humaines antérieures et met un terme à l’évolution connue de l’humanité. L’instauration de la société communiste universelle signifie la fin de l’histoire. K. Marx ne présente pas les modalités d’organisation d’un tel type de société car il se refuse à tomber dans les errements d’un socialisme utopique à caractère prophétique. Imaginer l’organisation d’une société future ne relève pas d’une analyse scientifique de la société et de l’histoire. En revanche, il pose une norme morale pour qualifier les rapports sociaux dans la société communiste en rupture avec les sociétés précédentes : «de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins». Le marxisme repose donc sur une éthique fondamentalement individualiste. Toutefois, K. Marx considère que le seul moyen pour parvenir à la société communiste est l’instauration de « la dictature du prolétariat ». Le prolétariat, la classe ouvrière organisée, est appelé à imposer son pouvoir, en supprimant pour un temps, à la manière des dictateurs romains, les libertés publiques, afin de remplir une tâche bien précise : éliminer la bourgeoisie en tant que classe en confisquant aux capitalistes les moyens de production et l’appareil d’État. « La dictature du prolétariat » constitue ainsi une phase de transition nécessaire pour passer du capitalisme au communisme. K. Marx présente ainsi un mode d’action pour réaliser le sens de 1’histoire. Par là, il se sépare des philosophes qui ne reliaient pas leur réflexion sur le monde à une action concrète pour modifier la société.

1.7. Face à l’aliénation de la classe ouvrière, la nécessité d’un parti communiste

La situation de misère effroyable dans laquelle semble plongée la classe ouvrière et son inculture politique lui interdit de concevoir clairement sa mission historique. La classe ouvrière, en raison de ces conditions d’existence, est incapable de penser par elle-même et de comprendre la nécessité de sa libération. Elle subit une « aliénation de classe » (alienus = autre, aliéné = se sentir un autre). Une action révolutionnaire spontanée paraît donc hautement improbable. Par conséquent, les meilleurs éléments de la classe ouvrière qui échappent à l’aliénation de classe doivent se regrouper à l’intérieur d’une organisation structurée, le parti communiste. Le rôle du parti communiste consiste à défendre les intérêts de la classe ouvrière et de l’engager dans la voie révolutionnaire. Il s’agit, en premier lieu, de détruire l’aliénation de classe en brisant tout ce qui fait obstacle à une claire compréhension du rapport « classe contre classe » : nationalisme, famille, religion etc. L’unité des travailleurs du monde entier est réclamée pour constituer un front unique contre les « ennemis du genre humain », les capitalistes. Les damnés de la terre (les deux dernières citations sont tirées de L’Internationale) ne peuvent parvenir au succès si leurs forces sont disparates. C’est pourquoi K. Marx achève son Manifeste du parti communiste par : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ».

2. L’HERITAGE MARXISTE : ENTRE SOCIALISME REVOLUTIONNAIRE ET SOCIALISME REFORMISTE

La seconde internationale née en 1889 regroupe l’ensemble des partis socialistes européens qui à l’exception du parti travailliste britannique se réfèrent tous au marxisme. Cependant, au début du XXe siècle un débat idéologique secoue le plus puissant et le mieux organisé d’entre eux, le parti socialiste allemand (SPD).

2.1. Le débat Bernstein-Kautsky

Eduard Bernstein (1850-1932) dans une brochure intitulée Le socialisme scientifique est-il possible ? publiée en 1901 remet en cause l’aggravation de la condition ouvrière et le caractère inéluctable de la lutte de classes. Il constate que la production industrielle ne cesse d’augmenter, que le capitalisme s’est renforcé sous la forme de cartels et que la propriété se diffuse sous la forme de l’actionnariat et que des lois sociales comme des règlements intérieurs imposés par le gouvernement du Reich et des patrons éclairés ont nettement amélioré le sort des ouvriers alors même que les classes moyennes étaient en pleine expansion. « La paysannerie ne s’effondre pas, la classe moyenne ne disparaît pas, les crises ne s’intensifient pas, la misère et la servitude n’augmentent pas » écrit-il. Effectivement, l’économie mondiale est entrée depuis 1896 dans un cycle A de Kondratieff et la situation des pays industriels qui laissait présager depuis 1873 une crise ultime du capitalisme se redresse brusquement. Or, le monde ouvrier bénéficie largement de ce retournement de conjoncture. Le journal socialiste Die neue Zeit peut écrire en 1910 : « Les ouvriers ont déjà conquis plus que la satisfaction des besoins essentiels de l’existence ». Dans ces conditions, la révolution cesse d’être une nécessité historique. La société capitaliste peut très bien s’adapter et se transformer pour devenir une société socialiste. L’État qui a modifié sa nature oppressive grâce au suffrage universel peut devenir l’instrument de cette transformation à la condition que les forces socialistes s’unissent à la fraction de la bourgeoisie libérale héritière des Lumières. E. Bernstein renonce donc à la dictature du prolétariat comme mode

politique d’accès au socialisme et à la « lutte de classes » comme « force motrice de l’histoire ». Le socialisme de Bernstein cesse de prétendre à un caractère scientifique pour se restreindre à un impératif moral de type kantien. La réponse au révisionnisme de Bernstein est venue de Karl Kautsky (1854-1938), considéré comme l’héritier spirituel de Marx et Engels dans l’Allemagne du début du siècle. Pour lui, l’apparition des cartels et des monopoles témoigne de la fin prochaine du capitalisme car la croissance de la production s’accompagne d’une conscience de sous-consommation de la part des classes moyennes. À l’objection du manque de réalité d’une paupérisation absolue, il oppose le concept de « paupérisation relative ». Par ailleurs, il estime que les cartels par un mode d’organisation et de fonctionnement international peuvent, au moins pour un temps, limiter la course aux armements et éviter la guerre. Après la seconde guerre mondiale, face au constat de la survie du capitalisme à la crise de 1929, à son renforcement par la société de consommation grâce à la réponse fordiste et taylorienne (de H. Ford et F. Taylor) à la crise inéluctable du capitalisme prévue par Marx et Engels, et à sa capacité à sauvegarder la paix entre l’Allemagne et la France grâce à l’intégration économique européenne, les socialistes allemands ont abandonné en 1959, au congrès de Bad-Godesberg, toute référence au marxisme. Le SPD appuie désormais son projet politique sur une vision de l’être humain

inspirée du philosophe allemand Emmanuel Kant.

2.2. Le socialisme révolutionnaire

Les socialistes révolutionnaires, tels les Allemands Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, ou Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine), reprochent aux révisionnistes comme Bernstein de rompre avec le marxisme mais critiquent aussi la tendance dominante du S.P.D. en accusant Kautsky d’avoir une vision mécanique et biologique de l’histoire et de placer le parti ouvrier dans une situation de passivité sous prétexte que la fin du capitalisme est inéluctable. À leur avis, la révolution est toujours à l’ordre du jour et le mouvement ouvrier doit avoir une emprise volontaire sur l’histoire. La force des révolutionnaires marxistes tient moins dans leur apport théorique que dans leur volonté de suivre une véritable « praxis », c’est-à-dire de relier continuellement réflexion et action politiques. Les œuvres les plus célèbres de Lénine Que faire ? en 1902, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme en 1916 et L’État et la Révolution, en 1917 sont directement reliées à la situation politique de son temps et aux tâches immédiates du mouvement révolutionnaire. A. Gramsci valorise en Lénine non un théoricien de génie mais l’homme de l’action révolutionnaire : « Marx est un créateur de Weltanschuung (vision du monde), la fondation d’une classe dirigeante (c’est-à-dire de l’État socialiste) est équivalente à la création d’une Weltanschuung. » L’œuvre intellectuelle de Lénine n’aurait donc certainement pas retenu l’attention s’il n’avait pas été l’organisateur de la première révolution réussie du mouvement ouvrier. Lénine, avant tout, a apporté une réflexion nouvelle sur la pratique révolutionnaire. Il estime que le mode de production capitaliste permet aux ouvriers de posséder une conscience de classe mais non une conscience révolutionnaire. Le mouvement ouvrier spontané porte uniquement des revendications locales et économiques. La conscience révolutionnaire ne peut provenir que de l’extérieur du monde ouvrier car celui-ci est dominé culturellement par la pensée dominante bourgeoise. Seul un parti composé de « révolutionnaires professionnels », à la fois intellectuels et hommes d’action déterminés, peut amener par un travail d’agitation et de propagande permanent la prise de conscience révolutionnaire de la classe ouvrière. Le parti révolutionnaire est forcément composé de militants peut nombreux, triés sur le volet, disciplinés et capables de ne jamais séparer la doctrine de l’organisation. L’autre réflexion déterminante pour l’avenir du mouvement révolutionnaire fut l’analyse du rôle de l’État, une fois la prise de pouvoir révolutionnaire accomplie. Lénine partait du principe que le capitalisme qui s’était développé grâce à un système concurrentiel effréné, devenu monopoliste depuis le début du siècle, se trouvait dans une phase régressive où la croissance ne pouvait subsister que par l’exploitation de nouvelles terres coloniales. Les inégalités dans la puissance industrielle et commerciale entre capitalistes nationaux en Europe ne pouvaient engendrer qu’un impérialisme belliciste. Or, comme l’exploitation coloniale favorisait la fusion des luttes entre le prolétariat européen exploité et les peuples colonisés, le rapport de forces tournait en faveur de la classe ouvrière. La guerre montrait le degré de fragilité du système capitaliste. Le capitalisme était parvenu à son stade ultime, la révolution prolétarienne pouvait avoir lieu. Cependant, la percée révolutionnaire ne pouvait s’effectuer sans heurts et portait forcément à son paroxysme la lutte de classes. Dans ces conditions, la classe ouvrière devait retourner l’appareil d’État contre la bourgeoisie et instaurer la dictature du prolétariat. La suppression des libertés formelles des démocraties bourgeoises comme la liberté de la presse ou le multipartisme qui, sous couvert d’égalité, favorisent les puissances de l’argent, se révèle, de fait, nécessaire pour instaurer la liberté réelle de la classe ouvrière et du peuple tout entier qui exige «la disparition de la bourgeoisie en tant que classe». Lénine perçoit uniquement l’État comme un instrument policier au service de la classe dominante. En même temps, si l’État a un rôle purement coercitif, il ne peut que disparaître une fois la bourgeoisie disparue en tant que classe. Le « dépérissement de l’État » accompagne le mouvement de la société vers une société sans classes.

En rompant avec l’idée que le spontanéisme des masses conduisait naturellement à la Révolution, Lénine s’est détaché de la pensée de Marx. L’échec de la révolution spartakiste, dirigée par R. Luxembourg et K. Liebknecht, à Berlin, en 1918, a semblé mettre en évidence la nécessité d’un parti de « révolutionnaires professionnels ». Le mouvement ouvrier a alors modifié son mode d’organisation. La différence entre « libertés formelles » et « liberté réelle » a permis au système soviétique de prétendre représenter la démocratie véritable. Le « léninisme » apparaît ainsi moins comme une doctrine élaborée que comme une réflexion sur la prise de décision révolutionnaire.

2.4. A. Gramsci : la primauté du combat culturel dans la lutte révolutionnaire

Antonio Gramsci (1891-1937) a profondément repenser le marxisme, en accordant une place autonome et déterminante aux rapports sociaux. En effet, animateur du mouvement des conseils ouvriers italiens lors des grandes grèves de 1919-1920, il constate tout à la fois la modération du parti socialiste italien et des syndicats nés à l’intérieur d’un système capitaliste concurrentiel et respectueux des règles du jeu de la démocratie libérale et l’échec révolutionnaire du mouvement ouvrier faute d’une discipline et d’une coordination suffisante. La mise en relation de l’échec de la révolution en Italie et de son succès en Russie l’amène à réfléchir sur la nature de la société et de l’État dans les sociétés capitalistes évoluées. La différence fondamentale entre la Russie et l’Italie lui paraît venir de la formation d’une société civile qui constitue un rempart plus puissant que l’État pour la défense de l’ordre établi. La conquête du pouvoir d’État était suffisante en Russie, en raison de la faiblesse de la société civile, pour accomplir la révolution socialiste. La révolution passait obligatoirement en Italie par la transformation de la société civile, c’est-à-dire par sa conversion culturelle aux valeurs socialistes.

Il s’agit d’une rupture intellectuelle et d’une innovation théorique remarquables. K. Marx affirmait que « la nature des individus dépend[ait] des conditions matérielles qui déterminent leur production ». Autrement dit, la pensée est le reflet d’un mode de production déterminé. La culture ne possède, par conséquent, aucune autonomie. Gramsci insiste sur la force propre des idées et des mythes. L’homme ne subit donc pas son histoire à la manière d’un être mécanique, mais construit sa propre destinée par la force de sa création intellectuelle. La libération de l’homme n’est ainsi en rien l’inévitable conséquence de la logique interne des contradictions propres au système capitaliste. La tâche du parti révolutionnaire consiste alors à prendre des positions de force dans la société civile à la manière d’une longue guerre de siège. Pour l’emporter, il devait prendre en considération les aspirations des couches les plus larges de la société et ne pas se borner à des revendications économiques étroites afin d’établir son ascendant culturel sur les organisations sociales. C’est seulement ainsi que la cohésion de la société bourgeoise moderne, qui repose sur l’hégémonie culturelle des classes dirigeantes, grâce à la manipulation des instruments de socialisation tels les mass-media, les Églises, les syndicats... peut être ébranlée. Le rôle des intellectuels se révélait fondamental pour obtenir la victoire dans cette guerre de positions idéologique. Antonio Gramsci a mis en œuvre sa réflexion théorique dans les Cahiers de prison, écrits dans les geôles mussoliniennes entre 1929 et 1935. Sa mort naturelle en prison en 1937 ne lui permet pas d’exposer ses thèses publiquement. L’œuvre, longtemps sous-estimée, a été redécouverte par les communistes italiens au moment de la déstalinisation. Elle a profondément influencé l’entreprise politique de modernisation de la gauche accomplie par le PCI et maintenant le PDS. Elle fut certainement l’une des sources d’inspiration de M. Gorbatchev, principalement dans la sphère internationale.

Conclusion

K. Marx et F. Engels ont posé les bases d’une critique radicale et rigoureuse du système capitaliste de leur temps. Ils ont, en même temps, proposé une conception du monde qui confiait à la catégorie sociale la plus opprimée, le prolétariat, le soin d’écrire le dernier chapitre de l’histoire universelle. La disparition de l’exploitation économique devait offrir une liberté pleine et entière à l’homme et constituait, selon eux, le terme de l’histoire. L’action révolutionnaire vient autant d’une analyse économique et historique que d’une préoccupation morale. L’échec de la révolution d’octobre et la transformation du socialisme révisionniste en socialisme humaniste laisse en héritage philosophique aux disciples de Gramsci le soin de rendre la pensée marxiste encore vivante. Le mouvement ouvrier socialiste était né à la fois du désir de mettre fin à la misère humaine en offrant à tous des conditions de vie satisfaisantes et de la volonté d’une transformation morale de la société. Deux slogans peuvent résumer ces deux conceptions : « Brot für Alle » (Du pain pour tous) et « So wie die Erde ist, muss die Erde nicht bleiben. Sie anzutreiben forscht, bis ihr wisst (Telle que la Terre est, elle ne doit pas rester. Cherchez à la transformer jusqu’où vont vos connaissances). Face au progrès matériel offert par le développement de la société capitaliste, seule la dernière phrase de Bertolt Brecht légitime la prétention révolutionnaire.

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