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VERS UN RETOUR DU SOCIALISME

Cette petite république socialiste nous donnerait bien des leçons concernant le dispositif social pour tous.

ERNST NIEKISCH UN DESTIN ALLEMAND Le recueil Hitler une fatalité allemande et

Publié le 25 Août 2015 par AlawiRoumi

ERNST NIEKISCH UN DESTIN ALLEMAND  Le recueil Hitler une fatalité allemande et autres écrits nationaux-bolcheviks dévoile pour la première fois au public français l'œuvre d'un des auteurs les plus troublants et les plus controversés de la Révolution conservatrice allemande : Ernst Niekisch. Les premières apparitions du national-bolchevisme se font dans l'Allemagne exsangue, au sortir de la Grande Guerre. Ainsi en est-il du ralliement spectaculaire, en 1919, du professeur Paul Eltzbacher à l'idée bolchevique. Celui-ci, alors membre du parti national-allemand, déclare dans le journal Tag (2 av. 1919) : « Il n'y a qu'un moyen de nous sortir d'affaire. Ce moyen, c'est le bolchevisme. » La consternation est alors totale dans les milieux conservateurs, tandis que la gauche reste méfiante devant un tel ralliement. Seul le communiste Karl Radek y reconnaît l'émergence d'un national-bolchevisme de droite « honnête » auquel les communistes devraient « tendre la main » pour autant que « le souci national puisse aussi être une voie vers le communisme » (Kommunistiche Arbeiter-Zeitung, Hambourg, 24 nov. 1919). La deuxième manifestation des tendances national-bolcheviques aura plus d'ampleur. Elle a pour acteurs principaux Heinrich Laufenberg et son ami Fritz Wolffheim, tous deux membres de la Gauche radicale de Hambourg, puis, à partir de janvier 1919, du KPD. Ils avaient pris une part prépondérante lors de la révolution à Hambourg, en novembre 1918. La première République socialiste du Reich y fut proclamée dans l'enthousiasme, et Laufenberg y est élu président du Conseil des ouvriers et des soldats. Mais l'opposition naquit rapidement avec la direction du KPD, principalement Radek et Levi, pour lesquels l'échec du conseillisme comme forme spontanée de la révolution devait amener à la constitution d'un parti centralisé menant une « guerre de position » contre Weimar. Expulsés, Laufenberg et Wolffheim, largement soutenus par les "Hambourgeois", profiteront alors de la signature du traité de Versailles, ressenti par tous comme un insupportable diktat, pour donner une orientation nettement nationaliste à leur mouvement. Ils décrivent la nécessité d'une « guerre populaire révolutionnaire » où s'exprime l'unité du peuple (et non plus seulement du prolétariat) contre les forces d'occupation. « L'organisation prolétarienne de classe » est devenue « l'organisation prolétarienne du peuple », aboutissant à l'émancipation de la « totalité du peuple », du « tout national », et les dirigeants proposent la création d'une Armée rouge de libération, qui, tendant la main à la Russie à travers la Pologne, organisera l'unification du bloc oriental. Mais, malgré la création du Parti communiste des ouvriers allemands, cette agitation national-communiste devait rester sans suite. Elle est néanmoins assez significative de ce premier national-bolchevisme, le « national-bolchevisme de la défaite » comme l'appelle Louis Dupeux (in National bolchevisme dans l'Allemagne de Weimar, éd. Champion, 1979), aussi passionnel que le national-bolchevisme d'Ernst Niekisch, qui connaît son essor dix ans plus tard. Le parcours politique d'Ernst Niekisch se situe tout entier à gauche. Il adhère au SPD en octobre 1917. Le 8 novembre 1918, il est élu président du Conseil des ouvriers et des soldats de la ville d'Augsbourg. Il est ensuite élu, en 1919, au parlement de Bavière sous l'étiquette USPD (parti sociale-démocrate indépendant). Son opposition à l'aile réformiste du SPD, que dirige Bernstein, le marginalise au sein de ce parti. Il en démissionne au début de l'année 1926 et rejoint alors le parti "vieux-socialiste" (ASP), dont il dirige le quotidien Der Volksstaat jusqu'en 1928, année où il abandonne tout engagement politique. widers10.jpgMais, entre-temps, Niekisch a fondé, le 1er juillet 1926, la revue mensuelle qui le rendra célèbre : Widerstand (Résistance). Cette expérience, que Niekisch mène à partir de 1927 en coédition avec August Winnig, le rapproche de la Révolution conservatrice, principalement des milieux jeunes-conservateurs, néonationalistes et bündisch. La rencontre avec Ernst Jünger, en 1927, sera notamment déterminante dans l'évolution idéologique de Niekisch. C'est au sein de la revue Widerstand que s'élabore l'idéologie national-bolchevique. Deux thèmes dominent le national-bolchevisme. Dans l'ordre idéologique, il prône tout d'abord la révolution sociale pour libérer les travailleurs allemands de la classe exploitante, tout en rappelant que cette révolution sociale ne peut être complète que si elle s'accompagne d'une révolution nationale et qu'elle emprunte une forme politique, tendue vers la constitution d'un État nouveau : « Seule la volonté de lutte des classes, en tant qu'organe politique et réceptacle national de la volonté de vie, libère les peuples » écrit Niekisch. La conséquence la plus célèbre, et la plus fréquente en ces temps de repositionnements idéologiques intenses, en sera la fusion du nationalisme et du bolchevisme en une seule idéologie prônant l'unité du peuple, de la nation et de l'État. Dans l'ordre géopolitique, le national-bolchevisme se tient tout entier dans l'opposition à l'Occident, alors symbolisé par le diktat de Versailles. Ernst Niekisch rappelle l'existence d'une communauté de destin (Schicksalgemeinschaft) germano-russe. On sait que l'orientation à l'Est (Ostorientierung), russophile comme russophobe d'ailleurs, est une donnée permanente de l'histoire allemande tout entière et un grand thème de la Révolution conservatrice en particulier. Elle trouve chez Niekisch de nouvelles dimensions. La « russophilie pragmatique », tout d'abord, veut que les deux exclus de l'ordre de Versailles, l'Allemagne et l'URSS, s'allient pour faire front contre les puissances occidentales du continent européen. La révolution bolchévique est ensuite appréciée pour elle-même sous deux angles : d'une part, mise en parallèle de l'esprit bolchévique et du style prussien (« L'orientation vers l'Est et le désembourgeoisement de l'Allemagne se situent sur un même plan » affirme Niekisch : État fort et hiérarchisé, mobilisation du peuple, appel à l'héroïsme, suppression des classes parasitaires, arraisonnement de la technique mise au service du développement de la communauté et non de la seule rentabilité calculante, etc.), et d'autre part affirmation du caractère russe de la Révolution de 1917 dont le marxisme ne fut qu'un habillage internationaliste superficiel. Il existe enfin une troisième forme de l’orientation à l'Est, plus tardive mais aussi plus radicale, notamment exprimée dans La Troisième Figure impériale. La publication en 1934 de ce livre correspond à la reformulation en terme idéaliste - notamment dans l'analyse métahistorique - de l'idéologie national-bolchevique. La place centrale y est donnée, comme d'ailleurs dans Le Travailleur de Jünger (paru deux ans auparavant) au concept de Figure (Gestalt), la forme que prend, à une époque donnée de l'histoire, la domination. Pour Niekisch, les deux grandes Figures passées du Romain éternel et du Juif éternel, issues du même moule méditerranéen, sont sur le point de céder la place à la figure du Travailleur, qui, irrigué de la « force neuve » de « l'élément russo-asiatique », va entamer une domination, non plus métaphysique ou économique, mais technique, non plus nationale mais impériale du monde. De telles positions ne pouvaient évidemment qu'éloigner Ernst Niekisch du national-socialisme. Il fut d'ailleurs parmi les premiers, au sein de la Révolution conservatrice, à en dénoncer les dangers et à prendre ses distances avec l'organisation d'Adolf Hitler. Cette opposition sera systématisée et exprimée dans le célèbre pamphlet, Hitler, une fatalité allemande publié en 1932. La question russe y est de nouveau déterminante : le national-bolchevisme est évidemment étranger à l'anticommunisme hystérique et à l'antislavisme racialisant défendus par la NSDAP. L'idée de croisade contre la Russie est d'essence romano-chrétienne, rappelle Niekisch. Les empereurs d'Occident s'y sont soumis en échange de la bénédiction papale, tout comme Hitler s'apprête à s'y soumettre en contrepartie de la reconnaissance occidentale : derrière le petit agitateur de Bavière se cache « le gendarme de l'Occident ». La croisade est un détournement de l'idée de « protestation allemande » par laquelle Niekisch désigne la capacité du peuple à résister aux occupations et aux aliénations. Ernst Niekisch raille ensuite le caractère « romain » du national-socialisme, décelable autant dans les origines méridionales d'Adolf Hitler que dans l'héritage du fascisme italien. L'obsession raciale, le culte « oriental » du chef, la sympathie souvent réaffirmée pour les puissances occidentales, et notamment l'Angleterre, les compromissions avec l'Église catholique et les puissances financières (distinction démagogique du capital spéculatif et du capital créateur), le messianisme national et le salutisme petit-bourgeois, l'absence de toute contenance prussienne et protestante dans les grands-messes du national-socialisme : telles sont les marques les plus repérables du caractère occidental de l'idéologie hitlérienne. Et Niekisch de lancer une prophétie dont l'histoire devait retenir la lucidité : « Les forces obscures de l'Allemagne se répandirent dans cette voie erronée. Déjà, le jour s'annonce où, dans une exaltation stérile, elles se perdront en fumée jusqu'au dernier sursaut. Il restera alors un peuple las, épuisé, sans espoir. Fatigué, il doutera du sens de toute nouvelle résistance allemande. Mais l'ordre de Versailles sera plus fort que jamais ». Niekisch paiera son audace de sa liberté. Il est arrêté le 22 mars 1937 par la Gestapo et immédiatement incarcéré. Les Cercles Widerstand sont, comme les autres mouvements politiques, dissous et réduits à la clandestinité. Jugé 2 ans plus tard, Niekisch se voit condamné à la détention à perpétuité, à la confiscation de ses bien et à la déchéance de ses droits civiques. Libéré en janvier 1945 du camp de Mauthausen où il avait été déporté un an plus tôt, Niekisch adhère en août au KPD est-allemand. Mais la RDA ne lui sera guère plus favorable. L'Institut d'études sur l'impérialisme qu'il y fonde est brutalement fermé en 1951. Son premier livre publié après la guerre et mûri en détention, Europäische Bilanz, y reçoit un accueil glacial. Le second, Das Reich der niederen Dämonen, est interdit quelques semaines après sa mise en vente. Il rejoint en 1953 la RFA, où l'accueil est des plus réservés. Il y mourra, solitaire, le jour de son 78ème anniversaire, le 23 mai 1967. C'est au fond dans l'idée de résistance que se tiennent tout entières la vie et l'œuvre de Niekisch, dans cet appel à l'éternelle « protestation allemande » contre les occupations et les colonisations. Résistance à l'Allemagne de Weimar, qui l'a emprisonné, à l'Allemagne de Hitler, qui l'a déporté, à l'Allemagne de l'Est, qui l'a refoulé, comme à l'Allemagne de l'Ouest, qui l'a détesté. Ernst Niekisch sera mort sans que jamais l'Allemagne de ses rêves ne devienne une réalité.

ERNST NIEKISCH UN DESTIN ALLEMAND Le recueil Hitler une fatalité allemande et autres écrits nationaux-bolcheviks dévoile pour la première fois au public français l'œuvre d'un des auteurs les plus troublants et les plus controversés de la Révolution conservatrice allemande : Ernst Niekisch. Les premières apparitions du national-bolchevisme se font dans l'Allemagne exsangue, au sortir de la Grande Guerre. Ainsi en est-il du ralliement spectaculaire, en 1919, du professeur Paul Eltzbacher à l'idée bolchevique. Celui-ci, alors membre du parti national-allemand, déclare dans le journal Tag (2 av. 1919) : « Il n'y a qu'un moyen de nous sortir d'affaire. Ce moyen, c'est le bolchevisme. » La consternation est alors totale dans les milieux conservateurs, tandis que la gauche reste méfiante devant un tel ralliement. Seul le communiste Karl Radek y reconnaît l'émergence d'un national-bolchevisme de droite « honnête » auquel les communistes devraient « tendre la main » pour autant que « le souci national puisse aussi être une voie vers le communisme » (Kommunistiche Arbeiter-Zeitung, Hambourg, 24 nov. 1919). La deuxième manifestation des tendances national-bolcheviques aura plus d'ampleur. Elle a pour acteurs principaux Heinrich Laufenberg et son ami Fritz Wolffheim, tous deux membres de la Gauche radicale de Hambourg, puis, à partir de janvier 1919, du KPD. Ils avaient pris une part prépondérante lors de la révolution à Hambourg, en novembre 1918. La première République socialiste du Reich y fut proclamée dans l'enthousiasme, et Laufenberg y est élu président du Conseil des ouvriers et des soldats. Mais l'opposition naquit rapidement avec la direction du KPD, principalement Radek et Levi, pour lesquels l'échec du conseillisme comme forme spontanée de la révolution devait amener à la constitution d'un parti centralisé menant une « guerre de position » contre Weimar. Expulsés, Laufenberg et Wolffheim, largement soutenus par les "Hambourgeois", profiteront alors de la signature du traité de Versailles, ressenti par tous comme un insupportable diktat, pour donner une orientation nettement nationaliste à leur mouvement. Ils décrivent la nécessité d'une « guerre populaire révolutionnaire » où s'exprime l'unité du peuple (et non plus seulement du prolétariat) contre les forces d'occupation. « L'organisation prolétarienne de classe » est devenue « l'organisation prolétarienne du peuple », aboutissant à l'émancipation de la « totalité du peuple », du « tout national », et les dirigeants proposent la création d'une Armée rouge de libération, qui, tendant la main à la Russie à travers la Pologne, organisera l'unification du bloc oriental. Mais, malgré la création du Parti communiste des ouvriers allemands, cette agitation national-communiste devait rester sans suite. Elle est néanmoins assez significative de ce premier national-bolchevisme, le « national-bolchevisme de la défaite » comme l'appelle Louis Dupeux (in National bolchevisme dans l'Allemagne de Weimar, éd. Champion, 1979), aussi passionnel que le national-bolchevisme d'Ernst Niekisch, qui connaît son essor dix ans plus tard. Le parcours politique d'Ernst Niekisch se situe tout entier à gauche. Il adhère au SPD en octobre 1917. Le 8 novembre 1918, il est élu président du Conseil des ouvriers et des soldats de la ville d'Augsbourg. Il est ensuite élu, en 1919, au parlement de Bavière sous l'étiquette USPD (parti sociale-démocrate indépendant). Son opposition à l'aile réformiste du SPD, que dirige Bernstein, le marginalise au sein de ce parti. Il en démissionne au début de l'année 1926 et rejoint alors le parti "vieux-socialiste" (ASP), dont il dirige le quotidien Der Volksstaat jusqu'en 1928, année où il abandonne tout engagement politique. widers10.jpgMais, entre-temps, Niekisch a fondé, le 1er juillet 1926, la revue mensuelle qui le rendra célèbre : Widerstand (Résistance). Cette expérience, que Niekisch mène à partir de 1927 en coédition avec August Winnig, le rapproche de la Révolution conservatrice, principalement des milieux jeunes-conservateurs, néonationalistes et bündisch. La rencontre avec Ernst Jünger, en 1927, sera notamment déterminante dans l'évolution idéologique de Niekisch. C'est au sein de la revue Widerstand que s'élabore l'idéologie national-bolchevique. Deux thèmes dominent le national-bolchevisme. Dans l'ordre idéologique, il prône tout d'abord la révolution sociale pour libérer les travailleurs allemands de la classe exploitante, tout en rappelant que cette révolution sociale ne peut être complète que si elle s'accompagne d'une révolution nationale et qu'elle emprunte une forme politique, tendue vers la constitution d'un État nouveau : « Seule la volonté de lutte des classes, en tant qu'organe politique et réceptacle national de la volonté de vie, libère les peuples » écrit Niekisch. La conséquence la plus célèbre, et la plus fréquente en ces temps de repositionnements idéologiques intenses, en sera la fusion du nationalisme et du bolchevisme en une seule idéologie prônant l'unité du peuple, de la nation et de l'État. Dans l'ordre géopolitique, le national-bolchevisme se tient tout entier dans l'opposition à l'Occident, alors symbolisé par le diktat de Versailles. Ernst Niekisch rappelle l'existence d'une communauté de destin (Schicksalgemeinschaft) germano-russe. On sait que l'orientation à l'Est (Ostorientierung), russophile comme russophobe d'ailleurs, est une donnée permanente de l'histoire allemande tout entière et un grand thème de la Révolution conservatrice en particulier. Elle trouve chez Niekisch de nouvelles dimensions. La « russophilie pragmatique », tout d'abord, veut que les deux exclus de l'ordre de Versailles, l'Allemagne et l'URSS, s'allient pour faire front contre les puissances occidentales du continent européen. La révolution bolchévique est ensuite appréciée pour elle-même sous deux angles : d'une part, mise en parallèle de l'esprit bolchévique et du style prussien (« L'orientation vers l'Est et le désembourgeoisement de l'Allemagne se situent sur un même plan » affirme Niekisch : État fort et hiérarchisé, mobilisation du peuple, appel à l'héroïsme, suppression des classes parasitaires, arraisonnement de la technique mise au service du développement de la communauté et non de la seule rentabilité calculante, etc.), et d'autre part affirmation du caractère russe de la Révolution de 1917 dont le marxisme ne fut qu'un habillage internationaliste superficiel. Il existe enfin une troisième forme de l’orientation à l'Est, plus tardive mais aussi plus radicale, notamment exprimée dans La Troisième Figure impériale. La publication en 1934 de ce livre correspond à la reformulation en terme idéaliste - notamment dans l'analyse métahistorique - de l'idéologie national-bolchevique. La place centrale y est donnée, comme d'ailleurs dans Le Travailleur de Jünger (paru deux ans auparavant) au concept de Figure (Gestalt), la forme que prend, à une époque donnée de l'histoire, la domination. Pour Niekisch, les deux grandes Figures passées du Romain éternel et du Juif éternel, issues du même moule méditerranéen, sont sur le point de céder la place à la figure du Travailleur, qui, irrigué de la « force neuve » de « l'élément russo-asiatique », va entamer une domination, non plus métaphysique ou économique, mais technique, non plus nationale mais impériale du monde. De telles positions ne pouvaient évidemment qu'éloigner Ernst Niekisch du national-socialisme. Il fut d'ailleurs parmi les premiers, au sein de la Révolution conservatrice, à en dénoncer les dangers et à prendre ses distances avec l'organisation d'Adolf Hitler. Cette opposition sera systématisée et exprimée dans le célèbre pamphlet, Hitler, une fatalité allemande publié en 1932. La question russe y est de nouveau déterminante : le national-bolchevisme est évidemment étranger à l'anticommunisme hystérique et à l'antislavisme racialisant défendus par la NSDAP. L'idée de croisade contre la Russie est d'essence romano-chrétienne, rappelle Niekisch. Les empereurs d'Occident s'y sont soumis en échange de la bénédiction papale, tout comme Hitler s'apprête à s'y soumettre en contrepartie de la reconnaissance occidentale : derrière le petit agitateur de Bavière se cache « le gendarme de l'Occident ». La croisade est un détournement de l'idée de « protestation allemande » par laquelle Niekisch désigne la capacité du peuple à résister aux occupations et aux aliénations. Ernst Niekisch raille ensuite le caractère « romain » du national-socialisme, décelable autant dans les origines méridionales d'Adolf Hitler que dans l'héritage du fascisme italien. L'obsession raciale, le culte « oriental » du chef, la sympathie souvent réaffirmée pour les puissances occidentales, et notamment l'Angleterre, les compromissions avec l'Église catholique et les puissances financières (distinction démagogique du capital spéculatif et du capital créateur), le messianisme national et le salutisme petit-bourgeois, l'absence de toute contenance prussienne et protestante dans les grands-messes du national-socialisme : telles sont les marques les plus repérables du caractère occidental de l'idéologie hitlérienne. Et Niekisch de lancer une prophétie dont l'histoire devait retenir la lucidité : « Les forces obscures de l'Allemagne se répandirent dans cette voie erronée. Déjà, le jour s'annonce où, dans une exaltation stérile, elles se perdront en fumée jusqu'au dernier sursaut. Il restera alors un peuple las, épuisé, sans espoir. Fatigué, il doutera du sens de toute nouvelle résistance allemande. Mais l'ordre de Versailles sera plus fort que jamais ». Niekisch paiera son audace de sa liberté. Il est arrêté le 22 mars 1937 par la Gestapo et immédiatement incarcéré. Les Cercles Widerstand sont, comme les autres mouvements politiques, dissous et réduits à la clandestinité. Jugé 2 ans plus tard, Niekisch se voit condamné à la détention à perpétuité, à la confiscation de ses bien et à la déchéance de ses droits civiques. Libéré en janvier 1945 du camp de Mauthausen où il avait été déporté un an plus tôt, Niekisch adhère en août au KPD est-allemand. Mais la RDA ne lui sera guère plus favorable. L'Institut d'études sur l'impérialisme qu'il y fonde est brutalement fermé en 1951. Son premier livre publié après la guerre et mûri en détention, Europäische Bilanz, y reçoit un accueil glacial. Le second, Das Reich der niederen Dämonen, est interdit quelques semaines après sa mise en vente. Il rejoint en 1953 la RFA, où l'accueil est des plus réservés. Il y mourra, solitaire, le jour de son 78ème anniversaire, le 23 mai 1967. C'est au fond dans l'idée de résistance que se tiennent tout entières la vie et l'œuvre de Niekisch, dans cet appel à l'éternelle « protestation allemande » contre les occupations et les colonisations. Résistance à l'Allemagne de Weimar, qui l'a emprisonné, à l'Allemagne de Hitler, qui l'a déporté, à l'Allemagne de l'Est, qui l'a refoulé, comme à l'Allemagne de l'Ouest, qui l'a détesté. Ernst Niekisch sera mort sans que jamais l'Allemagne de ses rêves ne devienne une réalité.

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